En
entendant ces paroles, Guingamor fut pris d'une immense
pitié pour le roi qu'il avait ainsi perdu. - Fais attention
à ce que je vais te dire, dit-il au charbonnier. Je vais te
raconter mon aventure : c'est moi qui étais allé chasser et
je croyais revenir en apportant le grand sanglier.Et il se mit
à lui parler du palais qu'il avait trouvé, à lui dire comment
il y était entré, comment la pucelle qu'il rencontra l'avait
hébergé deux jours entiers, <4 alors je partis et elle me rendit
mon sanglier et mon chien ".
Il donna la tête du sanglier au charbonnier, lui recommanda
de la garder jusqu'à son retour chez lui et de faire part aux
gens du pays de ses révélations. Le pauvre homme le remercia.
Guingamor prit congé de lui, le laissa et partit. On avait déjà
dépassé none, à l'approche du soir. Le chevalier fut pris d'une
faim si impérieuse qu'il pensa en devenir fou. Au bord du chemin
il trouva un pommier sauvage chargé de grosses pommes. Il s'en
approcha, en prit trois et les mangea. Mal lui en prit d'oublier
la recommandation de son amie; à peine en avait-il goûté qu'il
devint vieux et décrépi, si affaibli physiquement qu'il tomba
du haut de son cheval, sans pouvoir bouger le pied ni la main. |
|

D'une voix faible, quand il eut retrouvé l'usage de la parole,
il se mit à se lamenter. Le charbonnier qui l'avait suivi assista
à ce qui lui arrivait et pensa qu'il ne vivrait pas jusqu'au
soir. Il voulut aller à lui, lorsqu'il vit arriver deux demoiselles,
bien vêtues, en riches atours, qui descendirent de cheval près
de Guingamor. Elles blâmèrent en termes vifs le chevalier, lui
reprochant d'avoir violé les ordres qu'il avait mal observés.
Elles le prirent doucement, avec soin, l'assirent sur un cheval,
le menèrent à la rivière et le passèrent en bateau avec le chien
et le cheval. Le vilain retourna chez lui à la nuit, emportant
la tête du sanglier. Il raconta partout l'aventure, affirmant
sous serment qu'elle était vraie. Il présenta la tête au roi
qui la fit montrer à maintes fêtes. Pour perpétuer le souvenir
de l'aventure, le roi fit composer un lai en gardant le nom
de Guingamor. C'est ainsi que l'appellent les Bretons.
FIN
-Source
: Lais féeriques des XIIèmes et XIIIèmes
siècles, ed. Flammarion. |