Tous
les chevaliers se turent, ne voulant tenter l'épreuve.
Guingamor comprit bien que ce défi s'adressait à
lui. Dans la salle tous restaient pensifs ; on n'entendait ni
bruit ni contestation. Le premier, le roi répondit :
- Dame, vous
avez souvent entendu parler de l'aventure de la forêt.
Sachez que je déteste en entendre parler, où
que ce soit : aucun de ceux qui sont allés chasser
la bête n'en est revenu.
La lande y est dangereuse
et la rivière pleine de périls. J'en ai subi
beaucoup de lourdes pertes, dix chevaliers, les meilleurs
de ma terre qui sont allés affronter le sanglier.
La conversation en resta
là, l'entourage se dispersa, chacun regagnant sa demeure
et le roi alla se coucher. Mais Guingamor n'oublia pas ce
qu'il avait entendu, il entra dans la chambre du roi et s'agenouilla
devant lui.
- Seigneur,
dit-il, je vous demande une chose dont j'ai besoin et je vous
prie de me l'accorder, ne me la refusez pas.
- Cher neveu,
dit le roi, je vous accorde tout ce qui vous fera plaisir,
dites-le-moi, n'ayez pas peur de me le demander; j'accéderai
à vos désirs pour tout ce que vous voudrez.
Le chevalier le remercia,
formula sa requête et lui en dit l'objet :
- J'irai chasser dans la
forêt.
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Il demande
son limier, son chien et son cheval de chasse et prie le roi
de lui prêter sa meute pour la journée. Le roi
entend bien ce que son neveu lui dit, il en est contrarié
et ne sait que faire, il veut revenir sur sa parole, demande
à Guingamor de renoncer à sa requête et
à son projet : pour son pesant d'or il ne souffrirait
pas de le laisser aller chasser le blanc sanglier, car jamais
il n'en reviendrait. S'il lui prêtait son chien et son
cheval de chasse - auxquels il tenait par-dessus tout et qu'il
ne donnerait pour rien au monde -, il ne les verrait plus
jamais ; à l'instant ils seraient perdus et il ne s'en
consolerait pas.
- Seigneur,
répond Guingamor, au nom de la fidélité
que je vous dois, je ne renoncerai à aucun prix, me
donnerait-on le monde entier, à chasser demain le sanglier.
Si vous ne voulez pas me prêter le chien que vous aimez
tant, le cheval de chasse, le limier et la meute de chiens,
je prendrai les miens.
La reine était
survenue et avait surpris la conversation. Les exigences de
Guingamor lui firent grand plaisir, sachez-le. Elle pria le
roi de consentir aux désirs du chevalier, escomptant
en être débarrassée ainsi et ne plus le
voir de sa vie. Elle supplia tant le roi qu'il y consentit.
Guingamor prit congé et
tout joyeux regagna son logis ; il ne put fermer l'oeil de
la nuit. Quand il vit venir le jour, il prépara rapidement
son équipée et manda ses compagnons. Tous les
gens de la maison du roi étaient très inquiets
pour lui ; s'ils l'avaient pu, ils l'auraient détourné
de son projet en y faisant obstacle. Guingamor fit venir le
cheval que la veille au soir lui avait prêté
le roi, il emmena avec lui le chien, le beau cor qu'il n'aurait
pas cédé pour son pesant d'or et les deux bonnes
meutes du roi, sans oublier le limier.
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Suite
-Source : Lais féeriques
des XIIèmes et XIIIèmes siècles, ed.
Flammarion.
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