Au cimetière
! à pareille heure !...Marie-Job
fut sur le point de répliquer qu'avec tout son bon vouloir
elle ne pouvait pas faire cela pour lui, mais Mogis ne lui en
laissa pas le temps. Comme s'il eût entendu la phrase
du vieux petit bonhomme, il s'engagea sur la gauche, dans le
chemin de Saint-Sauveur. Marie-Job ne savait plus que penser.
Quand ils arrivèrent auprès
de l'enclos des morts, la grille, contrairement à l'usage,
était ouverte. L'étrange pèlerin eut un
cri de satisfaction.
- Vous voyez que je suis attendu, dit-il. Ce n'est, en vérité,
pas trop tôt.
Et, retrouvant une vigueur qu'on ne lui eût jamais soupçonnée,
il sauta presque légèrement à terre.
- Tant mieux donc, dit Marie-Job en s'apprêtant à
prendre congé.
Mais elle n'était pas au terme de son aventure car à
peine eut-elle ajouté, comme il convient : "Au revoir
jusqu'à une autre fois", que le vieux petit homme
repartit :
- Non pas, s'il vous plaît ! ... Puisque vous m'avez accompagné
en ce lieu, vous n'êtes plus libre de vous en aller avant
que j'aie parachevé ma tâche, sinon, le poids que
je porte, c'est vous qui l'aurez à l'avenir sur vos épaules...
Je vous le conseille dans votre intérêt et parceque
vous avez été compatissante à mon égard
: descendez et suivez-moi.
Marie-Job Kerguénou, je l'ai dit, n'était pas
une personne facile à intimider, mais, au ton avec lequel
le vieux petit homme pronnonça ces paroles, elle sentit
que ce qu'il y avait de plus raisonnable à faire, c'était
d'obéir. |
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Elle mit donc pied à terre, après
avoir abandonné les guides sur la croupe de Mogis.
- Voici reprit l'autre : j'ai besoin de savoir où est
enterré le dernier mort de la famille des Pasquiou.
- N'est-ce que cela, répondit-elle, j'étais
au convoi. Venez.
Elle de s'orienter parmi les tombes dont les dalles de pierre
grise se pressaient côte à côte, assez
nettement visibles sous la clarté des étoiles.
et, quand elle eut trouvé ce qu'elle cherchait :
- tenez ! La croix est toute neuve. Il doit y avoir dessus
le nom de Jeanne-Yvonne Pasqiou, femme Squérent...Moi,
mes parents oublièrent de me faire apprendre à
lire.
- Et moi, il y a longtemps que je l'ai désappris, riposta
le vieux petit homme. Mais nous allons bien voir si vous ne
faites pas erreur.
Ce disant, il se prosterna, la tête en avant, au pied
de la tombe. et alors, se passa une chose effrayante, une
chose incroyable... La pierre se souleva, tourna sur un de
ses bords comme le couvercle d'un coffre et Marie-Job Kerguénou
sentit sur son visage le souffle froid de la mort, tandis
que sous terre retentissait un son mat, comme le bruit d'un
cercueil heurtant le fond de la fosse.
> Suite et fin
Conte d' Anatole Le Braz.
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