Fanta
Lezoualc'h, de Saint-Trémeur,
pour gagner quelques sous, se louait à la
journée dans les fermes des environs. Aussi ne pouvait-elle
vaquer à son propre ménage que le soir. Or, un
soir, elle se dit en rentrant :
"C'est aujourd'hui samedi, demain dimanche. Il faut que
j'aille laver la chemise de mon homme et celles de mes deux
enfants. elles auront le temps de sécher, d'ici à
l'heure de la grand-messe, car la nuit promet d'être belle."
Il faisait, en effet, un magnifique clair de lune.
Fanta prit donc le paquet de linge et s'en alla laver à
la rivière. Et la voilà de savonner, et de frotter,
et de taper, à tour de bras. Le bruit de son battoir
retentissait au loin, dans le silence de la nuit, multiplié
par tous les échos :
Plic ! Plac ! Ploc !
Elle était toute à sa besogne. Quel que fût
l'ouvrage, elle y allait ainsi hardiment, des deux mains. C'est
sans doute pourquoi elle n'entendit pas arriver une autre lavandière.
Celle-ci était une femme mince, svelte comme une biche,
et qui portait sur la tête un énorme faix de linge
aussi allégrement que si s'eût été
un ballot de plume.
-Fanta Lezoualc'h, dit-elle, tu as le jour pour toi ; tu ne
devrais pas me prendre ma place, la nuit.
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Fanta qui se croyait seule sursauta de frayeur,
et ne sut d'abord que répondre. Elle finit enfin par
balbutier :
- Je ne tiens pas à cette place plus qu'à une
autre. Je vais vous la céder, si cela peut vous faire
plaisir.
- Non, repartit la nouvelle venue, c'est par badinage que
j'ai parlé de la sorte. je ne te veux aucun mal, bien
au contraire. La preuve en est que je suis toute disposée
à t'aider si tu y consens.
Fanta Lezoualc'h, que ces paroles avaient rassurée,
répondit à la Maouès-noz, à la
femme de nuit :
-Ma foi, ce n'est pas de refus. Seulement je ne voudrais pas
abuser de vous, car votre paquet semble plus gros que le mien.
- Oh ! moi, rien ne me presse.
Et la femme de nuit de jeter là son fait de linge,
et toutes deux de frotter, de savonner et de taper avec entrain.
Tout en besognant, elles causèrent.
- Vous avez dure vie, Fanta Lezoualc'h ?
- Vous pouvez le dire. En ce moment, surtout. Depuis l'Angelus
du matin jusqu'à la nuit close, aux champs. Et
cela doit durer jusqu'à la fin de l'août. Tenez,
il n'est pas loin de dix heures et je n'ai pas encore soupé.
- Oh ! bien Fanta Lezoualc'h, dit l'étrangère,
retournez donc chez vous et mangez en paix. Vous n'en serez
pas à la troisième bouchée que je vous
aurez apporté votre linge, blanchi comme il faut.
- Vous êtes vraiment une bonne âme, répondit
Fanta. Et elle courut d'une traite jusqu'à la maison.
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Source : La Légende de la Mort d'Anatole
Le Braz
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