Fulupic
an Toër, un couvreur en chaume, de Plouzélambre,
achevait un soir de couvrir une maison neuve qu'un petit fermier
de la commune avait fait bâtir dans le dessein de venir
l'habiter à la Saint-Michel suivante.
Son travail fini, Fulupic descendit de son échelle et
l'enleva pour la serrer à l'intérieur de la maison,
avec ses autres outils, ainsi qu'il en avait coutume chaque
soir au moment de regagner son logis. Mais, quand il ouvrit
la porte à cet effet, il fut tout étonné
d'apercevoir une ombre debout dans le couloir qui séparait
la cuisine de la pièce de décharge.
-Piou zo azé ? (Qui est là ?) demanda-t'il, non
sans un petit froid dans le dos, car il était certain
que, de toute la journée, pas un être vivant ne
s'était montré dans les alentours.
L'ombre ne bougea ni ne répondit. Alors il répéta
sa question :
-Piou zo azé ?
Même silence de la part de l'inconnu.
-Sacré Dié, se dit Fulupic, voici un personnage
qui ne semble pas désireux de lier conversation. Il ne
doit cependant pas s'être introduit pour voler, car, puisqu'il
n'y a que le toit et les murs, je ne vois pas ce qu'il pourrait
emporter. |
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Je vais l'interpeller une troisième fois ; s'il persiste
à faire le muet, tant pis, je lui enfonce mon échelle
dans le ventre : ça lui ouvrira peut-être la bouche,
du même coup.
Et Fulupic de recommencer pour la troisième fois :
-Piou zo azé ?
Et cette fois fut, en effet, la bonne, car l'homme mystérieux
releva la tête qu'il avait jusqu'alors tenue obstinémént
baissée sur la poitrine, et, d'une voix caverneuse, il
prononça :
-Da vestr ha mestr an holl, pa teuz c'hoant da glewed (Ton maître
est le maître de tous, puisque tu désires le savoir).
La curiosité de Fulupic était plus que satisfaite.
Dans le visage de l'homme, la place des yeux et celle du nez
étaient vides, et la mâchoire inférieure
pendait. Le couvreur ne se soucia pas d'avoir d'autres explications.
Il planta là son échelle et se sauva de toute
la vitesse de ses jambes : il avait reconnu l'Ankou.
Source : La Légende de la Mort, d'Anatole
Le Braz.
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